SERVICE NATIONAL UNIVERSEL (SNU) : FAISONS LES COMPTES !
Sans le dire formellement car ce n’est pas son rôle, la Cour des Comptes annonce dans son dernier rapport l’impossibilité d’une généralisation du SNU et la désorganisation généralisée de ce dispositif d’endoctrinement de la jeunesse. Qui peut s’imaginer qu’un dispositif fruit de la simple lubie présidentielle au coût réel de près de 6 milliard va pouvoir perdurer dans un tel contexte budgétaire et social ? Personne. Absolument personne.
En indiquant que les cibles ne sont jamais atteintes, la Cour pointe ainsi du doigt un fait majeur que nous ne cessons de répéter : “la jeunesse ne veut pas du SNU” !
Surtout, ce rapport limité aux prérogatives de la Cour des Comptes ne s’aventure pas dans d’autres problèmes bien plus grave que la bonne gestion des finances publiques. En effet, comme l’a déjà dénoncé notre organisation à de multiples reprises, les séjours de cohésion SNU ont généré de trop nombreux actes de violences sexistes et sexuelles (entre encadrant.e.s mais aussi sur les jeunes), de violences physiques et de propos racistes et homophobes. Il est grand temps qu’une libération de la parole soit permise pour les jeunes et les encadrant.e.s victimes de ces souffrances.
Les points soulevés par la Cour des Comptes ne sont pas nouveaux et ont très souvent été dénoncés par notre organisation syndicale mais aussi d’autres organisations syndicales de notre secteur et de nombreux mouvements de jeunesse. Ces alertes se sont toujours heurtées à la surdité irresponsable des ministres et de leur cabinet.
Bien évidemment, au-delà de la gabegie financière et de la dégradation du service public de la Jeunesse et des Sports que ce dispositif a provoqué, c’est le fond politique de formatage de la jeunesse porté par ce projet que nous continuons à dénoncer.
Pour notre organisation, ce rapport de la Cour des Comptes doit sceller définitivement l’avenir du SNU, à savoir son enterrement en bonne et due forme !
Solidaires Jeunesse et Sports exige :
- L’arrêt immédiat du SNU et la réorientation des montants non-dépensés aux différentes politiques de soutien à la vie associative et du secteur jeunesse et éducation populaire.
- Qu’une réflexion soit entreprise par le gouvernement pour recréer un Service Public Jeunesse, Education Populaire et Sports au service de l’intérêt général et mener des politiques publiques coopératives.
- L’engagement d’un grand chantier pour permettre des politiques Jeunesse ambitieuses.
Tout ce que vous lirez ci-dessous n’est pas le propos d’une obscure organisation révolutionnaire ou même d’un syndicat des personnel.le.s « Jeunesse et Sports » mais des extraits du rapport de la Cour des Comptes publié le 13 septembre 2024…
Morceaux choisis :
« Le portage gouvernemental ainsi que les administrations centrales concernées ont connu de très nombreuses évolutions, sans que cela aboutisse pour autant à une structuration permettant de consolider le caractère interministériel du dispositif.
Le portage budgétaire du dispositif est assuré par le programme 163 […] avec un effort consenti important, et une croissance rapide du montant correspondant, de 30 M€ en 2020 à 160 M€ en 2024 en loi de finances initiale (LFI). Les crédits exécutés ont pourtant été, chaque année, largement inférieurs aux crédits inscrits en LFI.
L’estimation du coût par jeune élaborée par l’administration centrale, sur la base des crédits du programme 163, apparaît contestable, la méthode de calcul utilisée présentant plusieurs points de faiblesse. La Cour n’a pu à ce jour obtenir des clarifications suffisantes pour permettre d’établir avec précision le coût par jeune des séjours de cohésion pour les exercices budgétaires passés. L’ampleur des erreurs et omissions identifiées en la matière conduit à mettre en doute la fiabilité des coûts par jeune calculés a posteriori par l’administration centrale autant que la fiabilité des hypothèses budgétaires retenues dans les PLF successifs.
De surcroît, l’estimation, proche de 2 300 € par jeune pour 2021 et 2022, ne prend pas en compte les coûts d’administration du dispositif, portés par le programme 214 (soutien de la politique de l’éducation nationale), ni les coûts supportés par les autres ministères.
L’ensemble de ces éléments conduit à une estimation du coût par jeune proche de 2 900 € pour l’année 2022. […]
Une montée en charge à marche forcée malgré d’importantes difficultés de déploiements. [Ces difficultés] résultent de la montée en puissance à marche forcée du SNU et aux fortes contraintes qu’elle suscite sur toute la chaîne des acteurs impliqués, des agents de l’administration aux prestataires, sans que des outils et moyens adaptés n’aient été mis en œuvre au fil du déploiement. Cette situation de désorganisation et de gestion dans l’urgence entraîne des perturbations de l’organisation de la commande publique.
La réalisation des séjours de cohésion n’a pu être assurée que grâce à l’engagement des agents des services, en administration centrale comme au niveau déconcentré […] Les renforts d’effectifs dans les services, déjà réalisés ou prévus en 2024, sont dans ce contexte insuffisants pour absorber la charge de travail supplémentaire.
Selon le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (MENJ), le chiffrage du coût du SNU dans sa configuration actuelle et généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge (soit environ 850 000 jeunes) est de 2 milliards d’euros. Cependant, il est centré sur la phase 1 du dispositif et les seuls coûts supportés par le programme 163. Il ne correspond donc pas à une évaluation du coût global du dispositif pour les pouvoirs publics. Malgré toutes les incertitudes liées aux estimations actuelles, […] il est davantage probable que les coûts de fonctionnement annuels du séjour de cohésion (soit la phase 1 du dispositif) se situent aux environs de 2,5 milliards d’euros, ce qui porterait le coût de fonctionnement annuel du dispositif (trois phases) à un total de 3,5 à 5 milliards d’euros, sans compter les coûts d’investissement à venir dans les centres d’hébergement, les éventuels surcoûts liés au changement d’échelle et les coûts portés par les autres financeurs publics.
Pour chacun des exercices passés, le projet de loi de finances (PLF) a prévu des objectifs très ambitieux s’agissant du nombre de jeunes volontaires attendus dans les séjours de cohésion de l’année à venir tout en sous-estimant le coût par jeune de ces séjours. Un rééquilibrage artificiel a logiquement eu lieu en exécution, chaque année sur l’ensemble de la période, le coût effectif par jeune s’établissant à un niveau sensiblement plus élevé tandis que le nombre de jeunes volontaires était bien inférieur à l’objectif fixé.
Alors que la position initiale consistait à affirmer que le séjour de cohésion n’avait pas vocation à être délégué à des tiers, s’agissant d’un dispositif régalien, la réalité a contraint l’État à assouplir cette position et à s’appuyer sur les associations d’éducation populaire.
En effet, une difficulté majeure du SNU tient au fait que les services en charge des contrôles des accueils collectifs de mineurs (ACM) sont les services qui mettent en œuvre le SNU sur le territoire. Ces services se retrouvent de fait en charge d’organiser ces accueils qu’ils doivent par ailleurs contrôler, alors même qu’ils sont sous-dimensionnés pour remplir leur mission régalienne d’inspection.
En 2023, le MENJ a choisi, dans le cadre d’un appel d’offres propre aux transports du SNU, un nouveau prestataire qui a pris en charge les séjours de cohésion à partir du mois d’avril, dans un contexte de montée en charge du dispositif et de très forte complexité organisationnelle en raison de la décision de passer à une mobilité inter-régionale des jeunes. Or, dès les séjours d’avril 2023 et plus encore pour les séjours du mois de juin, les défaillances de transport ont été très nombreuses.
Face à ces défaillances, les services déconcentrés se sont organisés pour trouver des solutions en urgence, parfois à l’aide de partenaires associatifs, pour récupérer des jeunes et leurs accompagnateurs en gare, trouver des solutions d’hébergement, et les acheminer vers les centres SNU, dans certains cas par taxi sur de grandes distances. […] L’engagement des agents, au niveau central comme au niveau déconcentré, a permis de faire face à ce défi, mais l’ampleur de la désorganisation a induit des risques pour la sécurité des jeunes volontaires et des surcoûts de transport significatifs.
Au final, du fait des spécificités rencontrées (délais contraints, absence de connaissance du nombre de volontaires par séjour, à la fois du fait de modifications décidées par l’administration centrale et de désistements de dernière minute), les services achats des rectorats soulignent la difficulté à respecter les règles de la commande publique. Cette situation génère des surcoûts, pour pallier des urgences ou des incompatibilités avec les marchés ministériels existants ou les marchés d’hébergement et de restauration conclus à la hâte, ainsi que des frais engagés par des encadrants sur leurs deniers personnels, sans possibilité de remboursement.
Enfin, les difficultés opérationnelles s’étendent également à la question des matériels (par exemple sportifs, utilisés lors de séjours de cohésion) et des tenues (portées par les jeunes et les encadrants), pour lesquels aucune stratégie de gestion des stocks n’a été mise en place.
Le recrutement des encadrants qui relève de la responsabilité du chef de projet SNU départemental et du chef de centre, représente une charge de travail importante. Malgré la forte mobilisation des intéressés, les recrutements sont parfois très tardifs, nuisant à la préparation des séjours tant en matière de projet pédagogique que de gestion des équipes.
Toutefois, ce sont les difficultés d’ordre administratif et financier qui sont les plus prégnantes. Des retards considérables dans la signature des contrats de travail et dans la mise en paiement des rémunérations ou indemnités ont fortement dégradé l’image du SNU auprès des encadrants.
Un point d’achoppement majeur concerne le contrat d’engagement éducatif (CEE), majoritairement utilisé pour recruter les encadrants des séjours de cohésion et dont le plafond, fixé à 80 jours sur 12 mois consécutifs, limite très fortement le nombre de séjours réalisables par an. Or aucune évolution du mode de gestion des encadrants n’est prévue avant 2025, alors même que les séjours de cohésion et le nombre de jeunes à accueillir augmentent considérablement en 2024. Les enquêtes de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) ont pourtant signalé dès 2021 les très fortes contraintes induites par ces contrats et l’existence de pratiques destinées à contourner leur plafond, tels des jours travaillés non comptabilisés, des périodes de repos non respectées ou encore le recrutement d’encadrants par une tierce structure sur les journées de préparation des séjours et de formation.
Ces difficultés engendrent une mobilité importante qui fragilise le dispositif, en limitant la possibilité de capitaliser sur l’expérience acquise par les encadrants, mais plus largement les équipes en charge des politiques de jeunesse.
Au niveau déconcentré, les équipes des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) et des services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) n’ont que marginalement évolué avec la création de 80 postes de chefs de projets départementaux en 2022, malgré la charge de travail induite par le SNU, estimée à 157,7 ETP au 1er janvier 2023, et dans le contexte de la réforme de l’organisation territoriale de l’État, qui a pu déstabiliser les équipes.
De ce fait, le temps disponible pour réaliser les autres missions de ces services a été réduit, avec des conséquences inévitables sur la qualité du service rendu et le bien-être des agents. Le manque de stabilité des équipes est un révélateur du coût humain de la mise en œuvre à marche forcée d’un dispositif non planifié et auquel n’ont pas été consacrés les moyens nécessaires.
L’engagement exceptionnel des agents des services centraux comme déconcentrés a permis de faire face à la charge de travail supplémentaire et aux difficultés de mise en œuvre du SNU, mais cette situation anormale n’est pas soutenable dans la durée et l’est encore moins à mesure que le dispositif monte davantage en charge.
Pour aboutir à un chiffrage global du coût pour les pouvoirs publics du SNU généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge, […] devront être considérés les futurs coûts d’investissement dans les centres […]. Ainsi, une hypothèse « haute », qui ne pourrait être envisagée pour une généralisation à courte échéance du fait de la durée des travaux de construction, de 241 centres pour accueillir 252 jeunes sur 14 sessions dans l’année correspondrait à un investissement de plus de 6 milliards d’euros en coût de construction (hors coûts d’acquisition).
Les crédits inscrits dans la loi du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027 ne sont pas en adéquation avec une possible généralisation à toute une classe d’âge d’ici 2027.
L’ampleur des montants concernés et des conséquences en matière de dépense publique, s’agissant de surcroît d’un dispositif structurant pour l’avenir de la jeunesse, rend d’autant plus nécessaire un débat parlementaire pour décider de l’avenir du dispositif en s’appuyant sur un suivi budgétaire précis des coûts induits par le SNU dans sa configuration actuelle, pour l’ensemble des financeurs concernés, et une quantification des coûts de généralisation ».
Rapport de la cour des comptes disponible ici en entier : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/71493