Réforme des diplômes professionnels d’Etat « Jeunesse et Sports » : saccage en cours, arrêtons tout !
Disons-le d’entrée de jeu, le sujet de la réforme des diplômes professionnels d’Etat « Jeunesse et Sports » est assez complexe ne facilitant pas son appropriation, pour le moment, par l’ensemble des collègues malgré des conséquences déjà désastreuses. Cette fameuse réforme est en cours depuis plus d’un an, celle-ci a déjà subi un report de mise en oeuvre et le calendrier d’application n’est pas uniforme, ajoutant du flou au flou.
Cette réforme est la conséquence de la « loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui a modifié en profondeur l’organisation du Compte Personnel de Formation (CPF) et qui exige aussi la création de « blocs de compétences » pour les formations. Un bloc de compétences est une partie d’un diplôme. C’est un ensemble homogène et cohérent de compétences contribuant à l’exercice autonome d’une activité professionnelle et pouvant être évaluées et validées. C’est ce qu’il doit être en tout cas…
Cette instauration de blocs de compétences (BC) induit une révision de l’ensemble de la filière formation JEPS (CPJEPS, BPJEPS, DEJEPS et DESJEPS) qui reposait jusqu’alors sur des diplômes construits autour d’Unités Capitalisables (UC). Nous verrons que ce qui ne devait être au départ qu’un « toilettage » se transforme en usine à gaz de destruction massive.
En effet, toute création, révision ou suppression de diplômes à finalité professionnelle doit passer pour « avis conforme » devant une Commission Professionnelle Consultative (CPC) interministérielle, dans notre cas devant la CPC « Sport et Animation ». Or, ces CPC étant interministérielles, cela crée une concurrence entre chaque ministère qui se retrouve à prêcher pour sa paroisse au détriment de l’autre. C’est actuellement la situation navrante à laquelle nous assistons mais nous y reviendrons.
Cette réforme est un impensé
Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que cette rénovation des diplômes soit l’occasion de débattre sur l’évidente nécessité des formations JS, le sens des métiers dans notre champ et leur pertinence, c’est évidemment rien de tout cela qui émerge, bien au contraire. Même les travaux de l’inconséquent Grenelle de l’emploi et des métiers du sport et de l’absurde Comité de la filière Animation sont ignorés, c’est pour dire, ils ne font même plus semblants.
La logique à l’œuvre c’est d’appliquer la loi de 2018 et rien d’autre. L’appliquer à tout prix, au détriment du bon sens. Sauf qu’évidemment ça ne se passe pas comme prévu, ça coince et ce depuis plus d’un an.
En effet, l’ensemble des diplômes JEPS devait avoir le même calendrier pour la réflexion, la mise en œuvre et l’application concrète. Puis, le secteur sportif a décidé que la période des JOP n’était pas appropriée pour une telle réforme ayant comme conséquence de créer un calendrier distinct en fonction des diplômes, ce qui a été accepté par le Ministère. Dès lors, les diplômes de l’Animation devaient être les premiers à subir la réforme pour une application en 2024, puis finalement en 2025 à l’exception du DEJEPS ASEC qui se verra transformé lors du second semestre 2025 ou 2026.
Finalement, deux diplômes sports sont aussi concernés par la réforme pour une application en 2025, le BPJEPS Equestre et le BPJEPS APT, ils rejoignent donc les CPJEPS, le BPJEPS Animation où il n’y aura plus qu’une seule mention et le DESJEPS DSP. Pour ces diplômes, cela fait donc plusieurs mois que des commissions avec des représentants des branches professionnelles et du ministère se réunissent pour s’entendre sur les termes, les objectifs pédagogiques et les notions abordées dans ces formations. Il est important de noter que la création d’un unique BPJEPS d’Animation a comme conséquence la disparition totale dans les textes de “l’éducation à l’environnement”, tout un symbole dans un monde comme le nôtre. Concernant l’immense majorité des diplômes sports (BPJEPS, DEJEPS et DESJEPS), contrairement à certaines croyances, ils vont eux aussi être “rénovés” et pour certains supprimés.
La gue-guerre des moribonds
Après d’âpres débats dans les commissions, il émergeait des accords à défaut de consensus et on pouvait alors croire à la fin du cirque pour ces diplômes. Une CPC était même prévue le 5 mars pour entériner les nouveaux textes et là, roulements de tambours, celle-ci a été reportée au 10 avril a minima ! Pourquoi ? Car le Ministère de l’Enseignement Supérieur n’est pas d’accord avec les blocs de compétences décidés lors des différents groupes de travail et des termes contenus dans les blocs. En effet, l’Enseignement Supérieur refuse que dans les BPJEPS figure le terme « concevoir » car il estime que c’est donner trop de pouvoir à un niveau 4 (un niveau baccalauréat) et que cela porte préjudice à sa propre filière (notamment STAPS). On peut aussi annoncer qu’une autre CPC est déjà prévue pour le mois de juin et celle-ci concernera principalement les textes du DESJEPS DSP où il risque de se jouer la même bataille.
Il est important de souligner que cette terminologie est à ce jour omniprésente dans la construction des diplômes JEPS et notamment en BPJEPS où l’on peut trouver « Concevoir un projet d’animation » (OI 2-1 de l’UC 2 de l’ensemble des BPJEPS) ou encore « Concevoir la séance, le cycle d’animation ou d’apprentissage des activités aquatiques et de la natation dont l’aisance aquatique » (C3-1 du BPJEPS AAN). Elle est par ailleurs un fort marqueur identitaire de nos diplômes depuis un demi-siècle. Si l’absence de la conception se confirme cela posera de nombreuses questions : un.e diplômé.e pourra-t’iel agir en autonomie pour la construction de ses séances et activités dans sa structure ? Si ce n’est pas le cas, qui va concevoir la séance ?
Il est très important de comprendre que ce conflit autour d’une terminologie est tout sauf anodin car la définition des termes et donc des contenus de formation qui en découleront auront de lourdes conséquences dans l’intérêt de jouir d’un diplôme JEPS. Si la notion de conception s’évapore sous pression de l’Enseignement Supérieur cela va désorganiser l’ensemble de la filière comme par exemple le fait qu’un BPJEPS permette d’accéder à des concours de la territoriale et autre.
Mais ce qui est pathétique dans la vendetta menée par l’Enseignement Supérieur, notamment autour de la notion de « conception », c’est que ce Ministère s’attaque à la filière JEPS (et donc au Ministère des Sports) car il n’est pas courageux. En effet, dans un souci de cohérence, il devrait s’en prendre avec la même agressivité à l’Education Nationale et à son Baccalauréat Professionnel Animation – Enfance et Personnes Âgées (AEPA) qui permet de posséder « les compétences nécessaires pour concevoir et réaliser des activités de nature variée ». On assiste tout bonnement à une guerre de moribonds.
Une Administration Centrale en déliquescence
Si cette réforme se déroule de manière aussi cacophonique c’est aussi les conséquences d’une méthodique destruction de la Direction des Sports. En effet, depuis la création de l’odieuse Agence Nationale du Sport (ANS), l’Administration Centrale voit ses effectifs diminuer à vitesse grand V au profit de l’ANS et les bureaux en charge de la réforme de la formation professionnelle ne font pas exception à la règle.
En quelques années, les effectifs ont quasiment été divisés par deux et il faut ajouter à cette situation déjàsinistre, une série d’arrêts-maladie du fait de conditions de travail minables. Pour faire face à cela, il a été décidé de faire appel à un cabinet d’audit pour « accompagner la réforme » pour un budget de plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Le hic ? C’est qu’à ce jour, les crédits n’ont pas été reconduits –et ne doivent pas l’être- et évidemment les effectifs restent toujours aussi à l’os.
Dans de telles conditions, cette réforme ne fait qu’ajouter de la souffrance au travail pour les collègues concerné.es et ne peut pas objectivement bien se dérouler. On regrettera aussi les choix de la DS de fonctionner de manière peu compréhensible dans l’exécution de cette réforme. Il y a une forme de tabou et d’omerta qui sont réellement problématiques ! Les conséquences sont flagrantes et la déliquescence de la Direction des Sports se répercute dans les territoires. Le ruissellement ne vaut que pour des situations négatives.
Dans les DRAJES, des pôles « formations » en perdition
Les pôles « formations » des DRAJES sont les services chargés d’appliquer la réforme de la formation professionnelle JEPS dans les territoires. Or, les collègues n’ont quasiment aucune information officielle et cela depuis plus d’un an. Les responsables de services sont d’ailleurs dans la même situation que leurs agents.
Les collègues sont contraint.es de créer des boucles mails parallèles au Ministère des Sports pour s’échanger les informations (très souvent obtenues auprès des organismes de formation), se rassurer et essayer d’anticiper la charge de travail extrêmement conséquente à venir. En effet, pour tous les diplômes visés, il va falloir refaire l’ensemble des habilitations le tout en s’appropriant un nouveau cahier des charges de l’habilitation et tout ça dans des délais minimes ! Dans les textes qui devaient être présentés à la CPC du 5 mars, il était indiqué que plus aucune session de formation JEPS, sous le format actuel, ne pourrait ouvrir après le 1er décembre 2024 pour les diplômes visés ! On marche sur la tête !
Le travail des collègues en DRAJES est d’autant plus complexe que le manque d’information de la part de la DS ne permet pas d’accompagner les organismes comme il le faudrait dans une telle situation. Cela crée parfois de grosses tensions, certains OF critiquant publiquement les collègues et la gestion de la réforme. Cet accompagnement est d’autant plus difficile que pendant plusieurs mois il était évoqué qu’avec la mise en place des formations JEPS en blocs de compétences, les diplômes passeraient d’un format de 4 UC à 3 BC (avec des modules de spécialisation) nécessitant une acculturation évidente pour accompagner au mieux.
Or, toujours dans les textes qui auraient dû être présentés à la CPC du 5 mars, nous avons découvert que les différents BPJEPS n’allaient pas être construits sous le même format, certains seraient en 3 BC (le nouveau BPJEPS APT) et d’autres en 4 BC (comme le nouveau BPJEPS Animation), il n’y aurait donc plus d’unicité des diplômes ! Pathétique et incompréhensible.
Mais le désastre ne s’arrête pas là. En effet, à ce jour, alors que la réforme est toujours censée entrer en vigueur au 1er janvier 2025 (et l’habilitation des nouveaux diplômes devant se faire en 2024), nous ne connaissons toujours pas la volumétrie horaire minimale retenue pour les différents niveaux de
qualification !
Concernant, les pôles « formations » des DRAJES il est important de rappeler que cette réforme s’ajoute à la réforme de la VAE qui est une véritable usine à gaz complexifiant énormément la gestion de la VAE par les services et les collègues. Ajoutons aussi, que dans certaines DRAJES les membres des jurys régionaux ne sont toujours pas rémunérés depuis le passage à l’Éducation Nationale !
La réforme des diplômes professionnel concerne l’ensemble des collègues JS
Si à ce jour, cette réforme est connue et maitrisée uniquement par certain.es agents de la DS et des pôles « formations », elle va bien concerner l’ensemble des collègues JS ! En effet, en fonction des arbitrages qui seront faits lors des CPC notamment sur les attendus des contenus de formation, il y aura des conséquences sur la qualité pédagogique des structures, le recrutement d’équipe de direction d’ACM et le niveau des éducateurs.trices sportifs.ives !
Les collègues en établissements seront soumi.es au même rythme infernal que l’ensemble des OF pour construire et déposer des dossiers d’habilitation dans des délais ultras-contraints. Ces délais ne favoriseront clairement pas la qualité pédagogique des formations !
Pour toutes ces raisons, Solidaires Jeunesse et Sports :
- Demande l’inscription à l’ordre du jour du prochain CSA la réforme des diplômes (ainsi que les autres organisations syndicales)
- Demande l’arrêt temporaire des travaux pour obtenir un état des lieux
- Demande le report de la réforme à janvier 2026 pour sécuriser la construction des diplômes et la mise en œuvre de ces derniers
- Demande un recrutement conséquent à la DS et notamment dans les bureaux en charge de la réforme des diplômes professionnels
- Demande un recrutement conséquent pour l’ensemble des pôles « formations » des DRAJES pour mener cette réforme ainsi que celle de la VAE